La filière bois prend ses responsabilités
- La rédaction
- 3 oct. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mars 2023
Points de vue croisés à bâtons rompus dans le cadre de la onzième édition du Prix National de la Construction Bois (PNCB), célébrant la construction frugale, avec Christine Leconte, présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes et co-présidente du prix (PNCB), et Paul Jarquin, président de Fibois France, l’association fédérant les 12 interprofessions régionales de la filière forêt-bois.

Christine Leconte. Photographie d'Anne-Claire Héraud.
Quelle est la place du bois dans la construction en France ?
Christine Leconte, présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes.
En France, le bois et l’architecture ont une longue histoire en commun. Le chantier de Notre-Dame en est un exemple très contemporain. Nous avons un patrimoine architectural important avec le bois et il se trouve que c’est en plus une ressource dont dispose notre pays. Même si le XXe siècle a été un siècle d’industrialisation des processus de construction, avec l’acier et le béton, le bois est désormais un matériau qui a retrouvé toute sa place dans l’écosystème de la construction. À l’aune du changement climatique et de la crise des ressources, on redécouvre ses vertus, l’intérêt de s’intéresser à tous les matériaux.
D’un point de vue architectural, le bois permet une grande liberté, les constructions de l’édition 2022 des lauréats du Prix National de la Construction Bois l’attestent. Il y a une forme de magie qui se dégage, car le bois travaille à plusieurs niveaux, il permet le mix des matériaux, il impacte aussi le confort, et la ressource est disponible sur notre territoire, ce qui n’est pas rien en temps de pénurie des matériaux.
Quelles sont les raisons de promouvoir le bois comme matériau de construction ?
Paul Jarquin, président de Fibois France.
Tout d’abord, le bois est une réponse très concrète aux enjeux du dérèglement climatique, c’est une des solutions les plus performantes. Le bois produit trois effets, la (1) séquestration du carbone, quand l’arbre pousse en forêt, le (2) stockage, quand il est utilisé dans la construction, et il permet des effets de (3) substitution, lorsqu’il est utilisé à la place d’autres matériaux, plus émetteurs de gaz à effet de serre. Ces 3 S. participe activement au mouvement de décarbonation en marche.

Paul Jarquin. DR.
Christine Leconte.
Le bois joue également un rôle dans la réhabilitation des bâtiments. Sachant que 80 % de la ville est déjà là, pour répondre aux besoins de logements, sans contribuer à l’étalement urbain, c’est un matériau pertinent, parce que les structures en bois sont plus légères, que les architectes, en collaboration avec les ingénieurs, savent édifier aujourd’hui des édifices de plusieurs étages. Sur le bâti existant, c’est un atout extraordinaire. Et puis la réglementation environnementale RE2020, qui fixe les orientations pour atteindre la neutralité carbone en 2050, oblige à développer de nouveaux modèles constructifs tournés vers le bois et les matériaux biosourcés, qui répondront aux enjeux environnementaux.
Paul Jarquin.
Près de 50 % du marché de la construction de la filière bois concerne la réhabilitation et la surélévation des bâtiments. Lorsque l’on fait la ville sur la ville, le bois est la solution la plus adaptée. Outre que les chantiers sont beaucoup plus rapides, ils sont aussi plus propres, il y a 7 camions en moins par rapport à l’utilisation du béton, autant de nuisances épargnées aux habitants. En Europe, 17 % des constructions sont en bois, qui n’est plus du tout un matériau de construction marginal. Le bois s’est démocratisé.
Christine Leconte.
Il est un matériau de construction astucieux. Il y a des bois tendres, des bois durs, des bois qui se prêtent à la charpente. Les différentes essences et leurs qualités, structurelles, esthétiques, participent de la création architecturale et démultiplient les possibilités de faire. Le bois nous permet de nous adapter au contexte, notamment avec la question de l’eau. Il va sans dire que les chantiers secs, la préfabrication, sont économes de la ressource eau.
Le bois est-il un matériau de construction disponible en France ?
Christine Leconte.
En tant qu’architecte, je trouve la filière bois très active pour se développer, mais il est nécessaire que les pouvoirs publics s’investissent plus sur ces sujets. En effet, la mondialisation prive parfois nos architectes du bois local dont ils pourraient avoir besoin sur leur chantier, la ressource étant souvent déjà exportée. Il est important pour nous que l’État comprenne l’importance de ces circuits courts, et qu’il aide à garantir des filières françaises, de proximité, en investissant, avec des mesures d'écoconditionnalité par exemple, parce que les émissions de gaz à effet de serre, c’est aussi le déplacement des matières.
Paul Jarquin.
Il faut rappeler que la forêt française, représente 30 % du territoire français, et que sa surface a doublé en 150 ans. La filière bois représente 430 000 emplois, plus que l’industrie automobile, avec de nombreux produits, matériau de construction, papier, bois de chauffage, etc. Sur ce marché global, cela requiert une gestion à long terme où le rôle de l’État est crucial. Nous travaillons d’ailleurs, entre autres planifications, à l'élaboration de la future Stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC), car nous disposons d’une ressource très importante, 17 millions d’hectares, 3 milliards de mètres cubes de bois sur pied. L’innovation est aussi un axe de réflexion et d’investissement, pour lutter contre le dépérissement de certaines essences, des feuillus comme les hêtres, qui ont besoin de beaucoup d’eau et ne supportent pas la sécheresse. Il s’agit de protéger collectivement la forêt et d’investir dans notre outil de production. Mais la diversité des problématiques économiques des acteurs de la filière n’a pas empêché une forme d’union sacrée autour du développement de notre ressource bois.
Quelle image le secteur du bâtiment a-t-il du bois de construction ?
Christine Leconte.
On redonne au bois ses lettres de noblesse. Entre la pénurie des ressources et la prise de conscience des enjeux climatiques, le bois de construction apparait naturellement comme une solution. Les architectes redécouvrent ses qualités. À ce sujet, les idées reçues sont derrière nous. Le bon sens a pris le dessus. En France, le bois est devenu une des ressources locales respectueuses de l’environnement pour construire.
Paul Jarquin.
De plus, le bon sens écologique du bois comme matériau de construction éco-compatible, s’est doublé d’un bon sens économique. D’un matériau onéreux, plus cher que le béton, nous sommes passés avec l’augmentation des coûts énergétiques à un matériau plus intéressant économiquement, car moins gourmand pour sa transformation en énergie.
Faut-il opposer le bois au béton ?
Christine Leconte.
Non, absolument pas, chaque filière a sa raison d’être, mais il est important de mettre avant les qualités des matériaux qui apportent des réponses nouvelles aux enjeux de la construction dans un contexte de crise climatique et, en l’occurrence, le bois est bien placé, comme le sont les matériaux biosourcés (la paille, le chanvre). Le bon sens, c’est le bon matériau au bon endroit.
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